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PLUTON, LA FUTURE EXILEE ASTROLOGIQUE ?
Par Serge BRET-MOREL
Que le lecteur curieux ne prenne pas les textes qui suivent comme une simple « défense de l’astrologie face à la méchante critique sceptique », mais bien comme une discussion sur la critique. Ceci passe par la prise en compte du paramètre technique, trop souvent déconsidéré par les sceptiques et par les astrologues. Le déclassement de Pluton est une occasion supplémentaire de démontrer que la critique sceptique n’est pas a priori légitime en soi : il ne suffit pas de formuler une critique pour qu’elle soit pertinente. Autrement dit, les nombreux biais, contradictions et absurdités de l’astrologie ne légitiment pas en retour la valeur d’une critique, comme si elle venait seulement s’ajouter à celles déjà existantes. Nous allons montrer ici que le déclassement de Pluton pose à l’astrologie des questions bien différentes de celles qu’il génère dans les média.
Aussi, que le sceptique ne cède pas trop vite à la tentation d’ingérence sur une discipline où la question technique domine bien plus qu’il n’y paraît. Trop souvent il n’en est pas familier car il ne connaît l’astrologie qu’à travers les textes (des sceptiques ou des astrologues), non par sa pratique personnelle.
Mais que l’astrologue ne cède pas non plus au conservatisme, voire au dogmatisme, sous prétexte qu’il est praticien (donc « proche du terrain », c’est à dire non concerné par les discussions théoriques). Ou parce qu’il considère sa discipline comme intouchable par le sceptique. L’astrologie n’appartient pas non plus au praticien et/ou au métaphysicien.
Nous pourrons alors commencer à discuter sur le fond.
Toute critique est-elle recevable ? Et si non, d’après quels critères la rejeter, l’accepter, l’intégrer ? Réciproquement, l’argument pratique permet-il toujours d’échapper à l’argument critique («
et pourtant ça marche », « je suis praticien, pas vous », «
j’ai des dizaines d’années d’expérience », etc) ? Lorsqu’il est technique, nous verrons que non : la pratique de l’astrologie, cristallisée par la notion d’expérience, n’est parfois qu’un trompe l’œil, les praticiens s’opposant bien souvent à d’autres praticiens.
Commençons donc par définir une critique valable comme une critique formulable dans le cadre du discours astrologique. Car nombre de critiques externes très cohérentes et/ou séduisantes sont parfois hors sujet ou non applicables à la technique astrologique, ce que nous illustrerons dans l’article suivant. La première étape dans l’évaluation de la pertinence d’une critique sceptique consisterait donc à la traduire en quelque sorte en termes astrologiques afin de tenter de l’intégrer au discours qu’elle critique pour mesurer quels en sont réellement les tenants et les aboutissants. Si ce n’est pas possible, alors comment s’assurer que la critique est pertinente ? En fait, il est courant de rencontrer des critiques non pertinentes, le sceptique critiquant souvent par jeu, par dérision ou mépris, sans se prendre vraiment au sérieux, voire même sans s’assurer du bien fondé de son propos. Peu lui importe parfois que la critique soit pertinente ou non puisque dans le fond, les abus de l’astrologie sont si nombreux qu’ils justifieraient presque a priori ceux de la critique. Je crois qu’il faut dénoncer cette dérive, car
aux dérives courantes de l’astrologie ne doivent pas s’ajouter celles de la critique
; à moins de reconnaître que la confusion du débat ne repose pas seulement sur les épaules des astrologues.
Alors l’examen de la portée réelle de la dite critique sceptique sera-t-il peut-être envisageable. Au moins en théorie, car la méthode en elle-même, n’est pas encore réalisable de façon évidente, faute d’intérêt et de moyens, donc de temps à consacrer pour développer ce sujet. Il n’y a pas encore de subvention publique pour ce genre de réflexion…
Bien que l’affaire ne soit peut-être pas close, la décision de l’UAI montre une nouvelle fois que la communauté scientifique est capable de revenir sur ses choix même lorsque c’est douloureux. Pluton pose vraiment problème sur le plan des classements astronomiques. Dès l’annonce de son déclassement, quelques critiques ont été émises spontanément par les sceptiques, mais sans réussir toujours à pénétrer ses problématiques réelles, notamment techniques. Chose que nous allons tenter de faire ci-dessous. Pour la critique bien sûr, l’affaire est simple : puisque Pluton a été renvoyée des planètes traditionnelles par les astronomes, l’astrologie devrait faire de même. Pourtant ceci n’est évident ni dans la forme, ni sur le fond.
Nous parlions plus haut de traduction en termes astrologiques, or les critères de classement des corps du système solaire diffèrent de l’astronomie à l’astrologie, d’où des catégories distinctes qui empêchent de transposer directement les conclusions de l’astronomie à celles de l’astrologie. La catégorie des
planètes naines illustre très bien ce propos. En effet, cette catégorie regroupe (au moins) des corps de tailles allant de Cérès à Eris, mais dont les paramètres cinématiques sont suffisamment épars pour que le système astrologique ne puisse les intégrer tels quels :
le critère de taille n’est pas un critère de classement en astrologie. De plus, l’astrologie ne se réfère en rien à la nature des astres pour construire ses interprétations, et à peine à leur apparence (autrement Pluton n’aurait pas encore de symbolisme…) : le paramètre majeur en astrologie est encore le
mouvement apparent. Autrement dit, c’est plutôt la vitesse de déplacement dans le zodiaque qui permet des regroupements astrologiques parmi les astres, non la taille des objets à proprement parler, et encore moins leur constitution. Ainsi les
planètes naines ne peuvent-elles pas constituer une catégorie astrologique, Cérès (et ses collègues de la ceinture d’astéroïdes) et Sedna s’en démarquant. En effet, la durée de révolution de Cérès (4,6 années) est comprise entre celles de Mars et Jupiter, donc bien inférieure à celles de Pluton (248 ans) ou Eris (557 ans). A l’autre extrême, celle de Sedna (11.000 ans environ) est de l’ordre des durées en jeu pour la précession des équinoxes ! Cérès ne saurait donc constituer une « planète de génération » comme le sont pour l’astrologie les trans-saturniennes traditionnelles (Uranus, Neptune et Pluton), pas plus que Sedna. Il n’est donc pas évident d’appliquer les catégories de l’astronomie à celles de l’astrologie…
Pourquoi les mouvements apparents sont-ils si importants dans la théorisation de l’astrologie ? Parce qu’ils sont conçus comme des déplacements dans le zodiaque astrologique. En astrologie de naissance, au plus un astre est rapide, au plus sa position en signes change souvent, ce qui lui donne un caractère personnalisant pour le natif. Réciproquement, au plus un astre est lent, au moins il différencie un individu d’un autre de la même génération (durant 7 années en moyenne tous les individus ont Uranus dans le même signe astrologique, environ 20 pour que Pluton traverse un seul signe astrologique).
Pour l’astrologie judiciaire, si utile dans le cadre de la consultation astrologique, au plus un astre est lent, au plus ses « transits » (périodes pendant lesquelles il peut donner lieu à interprétation astrologique de ce qui se produit à l’intérieur (ressentis, prises de décision) et/ou à l’extérieur (événements à proprement parler) de l’individu), sont longs. Donc en théorie plus présents, plus importants, plus signifiants.
Ainsi la notion de mouvement apparent rend-elle compte du fait que le Soleil et la Lune coexistent déjà avec les planètes depuis les origines de l’astrologie (et les y ont même précédées). Ceci montre à quel point il est absurde de pousser les astrologues au rejet de Pluton pour la seule raison que l’UAI en a décidé ainsi pour l’astronomie. Ou alors il faudrait aussi réclamer parallèlement (mais avec beaucoup de retard…) qu’il en soit de même pour les deux luminaires…
Toutefois, ce n’est pas parce qu’un argument est finalement absurde qu’il ne soulève pas un problème bien réel. Reformuler un argument en termes astrologiques, en tenant compte notamment des catégories propres à l’astrologie, permet parfois d’en faire ressortir quelque chose de plus consistant. Ici, l’argument peut se reformuler à partir, non du déclassement de Pluton, mais de certaines des raisons de son déclassement. Quelques paramètres cinématiques des nouvelles
planètes naines mèneraient ainsi à formuler plusieurs réels problèmes
si l’astrologie venait à intégrer ces nouveaux planétoïdes à son système.
Du fait que l’astrologie n’est pas une science, son « système » n’est pas homogène. Toutes ses composantes (fondements, techniques et pratiques par exemple) coexistent sans se contraindre toujours mutuellement. C’est pourquoi il faut éviter de voir dans le déclassement de Pluton la remise en question « d’un fondement » qui, par inférence, remettrait en question toute l’astrologie. Il est plus réaliste, en concevant le système astrologique comme composé de parties épars, de voir en quoi c’est de façon épars que l’introduction des nouveaux planétoïdes remettrait en question certaines conventions astrologiques, techniques notamment. Ainsi les paramètres en question sont-ils liés à l’astronomie d’observation dont, observateur terrestre oblige, l’astrologie use encore. Le mouvement apparent des astres s’y repère angulairement par rapport à la ligne de l’écliptique, où vont se poser les problèmes.
- Sur le plan de l’éloignement à l’écliptique pour commencer : c’est la question des latitudes nord et sud importantes pour la question de la définition du zodiaque
- Sur le plan de la rapidité du mouvement apparent (durée pendant laquelle les angles de l’astrologie perdurent), c’est la question des orbes des transits ;
- Sur les ordres de grandeur des durées en jeu, puisque Sedna se déplace presque à la même vitesse que le point vernal…
- Sur le nombre de facteurs que le système astrologique peut intégrer, ce dont nous avons discuté dans le premier article. Et par extension,
o Sur la pertinence du symbolisme astrologique
§ Dans ses procédures d’élaboration
§ Dans son utilisation quotidienne
o Sur la crédibilité de l’utilisateur du système : l’astrologue
La largeur de la bande zodiacale
Si les planètes naines amènent à intégrer des astres de la ceinture de Kuiper, la bande zodiacale ne s’étendrait donc pas de quelques degrés de part et d’autre de l’écliptique comme on pouvait le penser avant la découverte de Pluton, ni de 17° de part et d’autre pour pouvoir l’y accueillir, mais d’au moins 44°, inclinaison de l’orbite d’Eris (21° pour Orcus, 28° pour Santa et 29° pour Easter Bunny…)… Il faut donc en conclure qu’Eris se déplace « en dehors » du zodiaque tel qu’il est actuellement défini (encore plus chez les sidéralistes, lesquels tiennent compte des constellations…), ou alors, peut-être, que la question de la largeur de la bande zodiacale est un faux problème.
En fait, les paramètres des nouveaux corps ayant mené au déclassement de Pluton montrent d’abord que l’astrologie n’est pas armée pour définir sur le fond quelle est, ou quelle devrait être, la largeur de la bande zodiacale, dont la fonction est d’abord d’encadrer visuellement l’ensemble des positions géocentriques possibles sur la voûte céleste des astres du système solaire. L’astrologie ne peut que modifier cette margeur a posteriori, quand les circonstances l’imposent.
Bien sûr, ces remarques ne peuvent qu’en amener une autre : le « zodiaque » est-il vraiment autre chose qu’un concept pratique pour rendre compte de la proximité visuelle des planètes à la ligne imaginaire qu’est l’écliptique ? Autrement dit, un moyen de repérage qui aurait été réifié ? Cette question pourrait se reposer pour l’astrologie.
La localisation du zodiaque
Cette question n’est pas anodine, car selon la réponse que l’on y apporte, plus question de chercher à « situer » les signes du zodiaque… Sans bande zodiacale les signes zodiacaux perdent leur caractère « localisable » : ils ne peuvent plus être ni « devant » ni « derrière » les constellations. Le problème de la localisation du zodiaque pose en fait une autre question : que repère le zodiaque ??? Et certaines réponses dans l’esprit de l’astrologie conditionaliste semblent les plus appropriées.
De plus, la question de la nature et/ou de la localisation du zodiaque dépend d’abord de celles de l’écliptique, ce cercle imaginaire qui constitue le centre du zodiaque en marquant le trajet apparent du soleil. S’il est le seul repère naturel pour commencer à suivre précisément (et à l’œil nu) les positions des astres errants (d’où les origines techniques de l’astronomie), l’écliptique n’est peut-être pas le support le plus légitime du repère des planètes. Autrement dit, la question des latitudes célestes des corps plutoniens pourrait bien relancer les problématiques conditionalistes dans les questionnements de l’astrologie contemporaine. Si la bande zodiacale n’existe pas et si les latitudes ont tant d’importance, peut-être alors l’astrologie devra-t-elle redéfinir ses repères astronomiques (tout en préservant paradoxalement la tradition…) en fonction des variations de déclinaisons géocentriques par exemple, et non par rapport
à la position apparente moyenne du Soleil (l’écliptique).
Au-delà des limites de la bande zodiacale, la question du statut naturel de l’écliptique pourrait donc être fortement remise en cause chez les astrologues s’ils venaient à intégrer des astres avec de telles latitudes.
L’existence même du zodiaque
Or, toujours s’il n’y a pas vraiment de bande zodiacale, et si l’écliptique ne permet pas de repérer « naturellement » les positions des planètes, autrement dit si le zodiaque n’est qu’un concept pratique, alors que conclure pour les symboles des signes astrologiques qui justement, « composent » le zodiaque en une entité réifiée ? Du point de vue de la tradition astrologique, rejeter l’idée de bande zodiacale, n’impose-t-il pas finalement de ramener une fois pour toutes les symboles des signes du zodiaque à l’état de conceptions purement culturelles ? Les projections en longitude des positions d’astres si « loin » de l’écliptique ont-elles encore un sens ? Ou ne sont-elles que le fruit des hasards de l’histoire, à savoir que seules les planètes les plus proches de la Terre, dont les mouvements apparents sont proches de l’écliptique, sont visibles à l’œil nu ? Si Pluton avait été observable dès l’Antiquité, qu’en aurait-il été de la postérité du zodiaque ???
Position réelle et position apparente
Mais ces questionnements-là ne sont pas nouveaux, puisque suite à l’affaire Gauquelin s’est développée une astrologie dite conditionaliste, laquelle défend l’idée que les latitudes des astres doivent être prises en compte dans les interprétations. Elle fait remarquer par exemple que lorsque pour l’astrologie traditionnelle la Lune est censée se lever sur l’horizon lorsqu’elle passe « sur » l’Ascendant (ce qui se traduit dans le calcul par le même nombre de degrés dans leurs position en signes), les variations de latitude de la Lune font que c’est régulièrement faux. Avec un même nombre de degrés en longitudes écliptiques (une même position en signes astrologiques), selon qu’elle est au-dessus ou au-dessous de l’écliptique (latitudes nord ou sud) la Lune se lèvera avant ou après ce qui était prévu par le calcul traditionnel. On comprendra que les 17° d’inclinaison de l’orbite de Pluton posaient encore bien plus problème… et on imagine ce qu’il en serait des 44° de celle d’Eris ! Le fond du problème est donc de savoir, dans le calcul des maisons, si l’on traite ou non des positions apparentes des astres. Et encore, « apparent » ne signifie pas « visible » : il n’y a adéquation entre ces deux notions qu’en un lieu absolument plat (sans montagne au moins, sans immeuble si l’on veut pousser la contradiction plus loin, mais en remarquant à l’extrême qu’entre 4 murs il n’y a jamais visibilité des astres…). En fait, la question des latitudes des astres repose indirectement celle d’une action directe ou indirecte sur les hommes : est-il plus important que la Lune soit levée ou bien qu’elle ait passé l’ascendant ? Si la question de la montagne qui cache l’étoile est jugée non pertinente, alors celle des latitudes ne l’est pas forcément plus… mais c’est là un tout autre problème, revenons à notre sujet de départ.
Des orbes trop importants ?
Les longues durées de révolution des nouveaux planétoïdes de la région de Kuiper relanceraient aussi
la question de la durée des aspects astrologiques en astrologie judiciaire (donc de l’étendue des orbes) en écho à ce que provoque déjà Pluton. En effet, on appelle « orbe » la zone d’existence d’un aspect astrologique dans le zodiaque, c’est à dire la zone angulaire dans laquelle la position de l’astre garde une même relation par rapport à un autre, d’après la technique des transits. Il y a par exemple « trigone » non pas seulement quand un angle géocentrique de 120° sépare deux astres dans le zodiaque, mais tant qu’ils forment des angles compris entre 113 et 127°. L’orbe de 7° permet donc d’étendre l’existence de l’aspect astrologique autour de sa valeur théorique.
Or, les orbes plutoniens délimitent des périodes continues qui peuvent durer jusqu’à plusieurs années, l’astre parcourant la zone très lentement. Et tout événement qui se produit dans cette période et correspond au symbolisme plutonien (aussi divers qu’événements violents, remises en question profondes, soucis médicaux, etc) peut alors être rattaché à l’aspect astrologique en question. Or, il est pertinent de se demander si des durées aussi longues permettant d’associer à Pluton tout événement de la période définie, ne constituent pas d’abord un filet de pèche bien pratique. En effet, combien de personnes, sur plusieurs années, ne traversent aucune période difficile, bouleversante, voire traumatisante ?
Or, la question de la durée des orbes serait encore plus présente avec des astres comme Eris, dont le temps de révolution plus de deux fois supérieur à celui de Pluton permettra des durées d’aspects astrologiques encore bien plus grands. Ceci doit poser problème à l’astrologie et sa faculté à pouvoir s’approprier toute situation sans aucune limite. Des astrologues réclament que soient réduits les orbes d’aspects astrologiques qui permettent aussi de multiplier les positions interprétables. Un trigone d’Eris (14° d’existence pour une révolution en 557 ans) pourrait donc durer jusqu’à 14/360x557 ≈ 22 ans ! La problématique culmine d’ailleurs avec les corps qui, comme Sedna, vont bien au-delà de la ceinture de Kuiper, ce pourquoi on argumentait en début d’article que Sedna ne peut figurer dans la même catégorie astrologique que Pluton. Avec une durée de révolution de plus de 11.000 ans, son déplacement apparent annuel est si lent (en moyenne 1° en près de 31 ans !) qu’au plus loin du Soleil
un transit de Sedna peut durer plusieurs vies ! Pour donner une image qui donnera peut-être le tournis aux amateurs d’astrologie, disons qu’un aspect de Sedna pourrait durer autant qu’un cycle ou deux cycles entiers de Pluton…
Les ordres de grandeur des mouvements apparents
Ainsi les durées de révolution en jeu avec la catégorie des planètes naines renouvellent surtout une vieille problématique : celle des ordres de grandeur des mouvements apparents des astres errants. En effet, on peut remarquer ici qu’avec plus de 11.000 ans de période de révolution,
le déplacement apparent de Sedna est du même ordre de grandeur que celui du point vernal. Or jusqu’ici il n’était même pas question de mettre sur le même plan les mouvements des planètes et la précession des équinoxes, sinon pour en marquer l’écart. Pourtant, de même que les corps de la région de Kuiper ont comblé l’écart de taille « naturel » entre Cérès et Pluton, ils commencent à combler aussi l’écart de durée entre les 248 ans de révolution de Pluton et les 26.000 ans de la précession des équinoxes. Si nous ne sommes pas du tout dans le même domaine (mouvement apparent d’un corps réel du système solaire pour Sedna ; mouvement apparent d’un point fictif du à la rotation de la Terre sur son axe (précession des équinoxes), il est amusant de considérer le nouveau type de problème que cela peut poser à certains astrologues sur le plan métaphysique. Ces nouveaux ordres de grandeur vont-ils constituer une nouvelle épine dans les pieds de la théorie des ères ou bien au contraire lui donner une nouvelle jeunesse ? Autant de questions qui ne devraient peut-être même pas se poser, mais sur le plan symbolique tout est toujours possible dans le cadre de l’astrologie…
La complexité du système astrologique
Mais, comme on l’a argumenté dans l’article précédent, la reformulation de l’argument sceptique met encore en valeur le fait qu’il existe, non pas
UN autre planétoïde de grande taille de type Pluton (Eris), mais (déjà)
plusieurs autres planétoïdes de tailles voisines, et peut-être d’autres encore à découvrir. Or ceci doit poser problème à l’astrologie sur le plan technique. Le déclassement de Pluton renvoie donc indirectement aux questionnements touchant à la complexité du système astrologique. Il est déjà possible de dire presque tout et son contraire si l’on utilise tous les paramètres astrologiques disponibles (voir la notion de
superthème sur le site de Patrice Guinard), alors qu’en serait-il avec l’ajout de tant de corps provoquant des dizaines de nouveaux aspects astrologiques sur chaque carte du ciel ? Qui plus est aux orbes si énormes ???
Des catégories de pensée naturelles remises en cause
On le voit, la question des conséquences du déclassement de Pluton se formule très différemment en astrologie et en astronomie. Les catégories de pensée et les concepts ne sont plus les mêmes, les catégories astrologiques traditionnelles mises à mal par les paramètres des nouveaux planétoïdes annoncent déjà de nouveaux questionnements, dont le rejet de Pluton n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Car l’astrologie n’a jamais convaincu par sa capacité d’intégration de la contradiction : augmenter le nombre de combinaisons signifiantes c’est augmenter numériquement la puissance d’interprétation du système, mais renier des traditions est bien plus délicat. Cela se produit au plan local, en général tel ou tel astrologue se démarque de ses collègues, et quelques uns le suivent pour fonder un nouveau courant qui ne remettra pas les autres en cause car il se développera d’abord dans son coin. Quelle que soit sa valeur.
Or, la fonction des catégories, au-delà du classement des phénomènes et des idées en un système, est de tisser des liens théoriques afin de permettre l’exploration, donc l’interrogation, du réel (au sens le plus divers du terme). Dès lors que ces catégories changent, les liens évoluent avec elles, ce qui permet de nouveaux questionnements. Les hiérarchies sont aussi bousculées, ce qui entraîne la disparition de certains liens, donc d’anciens questionnements (la métaphysique des 12 symboles astrologiques ? La question de la localisation du zodiaque ?) ; l’apparition de nouveaux (un zodiaque sans bande zodiacale ??? Sedna et le point vernal ?) ; la mise en avant de questionnements jugés jusque là plus ou moins marginaux (latitudes et déclinaisons ?). Comme on l’a vu, la nouvelle catégorie des
planètes naines, d’ailleurs, est inapplicable strictement à l’astrologie, ce qui la démarque encore de l’astronomie. Seule celle des corps de la région de Kuiper fait vraiment sens en s’apparentant à une famille plutonienne : les durées de révolution de Cérès et Sedna ne peuvent leur permettre de figurer dans la même catégorie astrologique que Pluton. Sedna d’ailleurs, fait vraiment office d’astre à part. D’où la conséquence de ne plus pouvoir distinguer Pluton des planètes traditionnelles, mais plutôt
l’ensemble des corps de la région de Kuiper. La question de Pluton en soi devient presque secondaire au-delà même de l’expérience et des certitudes de chacun : un comble en astrologie où « l’expérience » de l’astrologue est toujours première.
La question n’est donc pas de savoir s’il faut garder ou rejeter Pluton, mais de savoir s’il faut INTEGRER TOUS les corps plutoniens dans le système astrologique, ou les REJETER TOUS, Pluton compris… Un véritable casse-tête théorique et métaphysique à venir !
Le symbolisme astrologique de Pluton et ses conditions d’élaboration
Comme on l’a développé dans l’article précédent, le symbolisme astrologique de Pluton ne devra-t-il pas, de toute manière, être remis en question au moins en partie ?
Pluton n’est pas la dernière ni la plus lointaine des planètes au sens astrologique du terme (Eris ou Neptune lui succède), l’idée de frontière avec un au-delà physique ou métaphysique doit en être bannie.
Pluton n’est pas non plus un corps isolé physiquement (des millions de corps parsèment les régions qu’elle parcourt),
ou astrologiquement (de nombreux corps importants dans la ceinture de Kuiper ont des caractéristiques orbitales aussi exotiques que Pluton, voire quasi identiques pour Orcus). Les astronomes eux-mêmes ont longtemps eu cette perception des choses, d’où le symbolisme mythologique inspiré du dieu des enfers. Oui, Pluton gravitait dans les régions cachées du système solaire, mais seulement jusqu’à il y a peu. « Les régions cachées » du système solaire se trouvent repoussées un peu plus loin, améliorations techniques obligent.
Ainsi peut-on envisager que le succès chez les astrologues de Pluton, dont le symbolisme est aussi emprunt de remises en question, d’isolement et de violence (Pluton est associé au signe du Scorpion dans le cadre des maîtrises), est du en premier lieu à un symbolisme fécond en lui-même sur le plan de la relation d’aide (on vient d’abord voir l’astrologue dans une période de doutes…).
L’opérativité du symbolisme plutonien n’est-il pas d’abord un effet de situation amplifié par les longues durées pendant lesquelles Pluton est en aspect astrologique ??? On pourrait étendre la question au succès d’Uranus, autre planète lente, dont le symbolisme empli de changement vient parfois sur les terres du symbolisme de Pluton, tandis que celui de Neptune est déjà moins opérant.
Un autre statut pour l’outil astrologique ?
Ces questionnements amènent donc à poser la question de la puissance de l’outil astrologique indépendamment de ses fondements métaphysiques. Etudier le système astrologique comme un complexe outil herméneutique où la question du vrai et du faux est absente permettrait aussi de déplacer le débat. Pluton montre, si c’était encore nécessaire, que l’analogie ne permet pas de déceler les erreurs d’interprétation, et que l’outil astrologique a peut-être un rôle explicatif plus important qu’on ne le croirait dans les succès que l’on attribue peut-être trop vite à l’astrologie. Ce que clament depuis longtemps les sceptiques, mais sans jamais aller très loin dans l’analyse technique proprement dite des leurres que génère la technique astrologique…
Ainsi, et contrairement à l’astrophysique pour laquelle elles sont nulles, les conséquences du déclassement astronomique de Pluton sont potentiellement terribles pour l’astrologie. Ce déclassement pourrait pousser la communauté astrologique à admettre définitivement que faute de méthode, les procédures et conclusions de l’astrologie sont infondées en partie ou… en totalité, non pas pour des questions de circonstances, mais bien pour des raisons immanentes au système astrologique en général, les critères permettant de valider ou non l’intérêt astrologique d’un corps céleste n’étant pas définis).
Deux issues semblent donc se présenter aujourd’hui à une astrologie qui se prend au sérieux : intégrer les corps de la ceinture de Kuiper au risque de noyer le système sous tant de complexité (nombre de facteurs récents supérieur au nombre de facteurs traditionnels et des centaines d’énoncés astrologiques en permanence) ; ne pas intégrer ces corps au système astrologique, au risque de devoir rejeter Pluton avec eux et revoir la pertinence de toutes les procédures d’interprétation, de tout le symbolisme, de tous les outils techniques, et du rôle de l’astrologue dans l’élaboration du symbolisme astrologique. En fait, poser la question : en quoi l’outil astrologique est-il un instrument déformant ?
On le voit, l’astrologie semble prise entre deux feux qui, tous deux, l’amènent à une révolution. Avant tout décision de rejet pour Pluton, les astrologues devront commencer par décréter l’état de crise de leur système, chose qui ne peut pas se faire en un jour.
A moins que la communauté astrologique réagisse radicalement par un replis sur soi dont elle a coutume pour fuir certaines contradictions. En revenant par exemple aux paramètres dits « traditionnels » tout en rejetant tout apport ultérieur. Mais ce recours à l’économie par une certaine prudence n’aurait rien de rationnel. Il ne serait qu’un moyen d’éviter la contradiction au lieu de s’appuyer sur elle pour remettre en question des choses qui permettraient aux astrologues d’avancer dans le choix de ce qu’ils peuvent attribuer ou non à l’astrologie. Car si certains astrologues critiquent déjà les méthodes ou les interprétations de leurs collègues, rarement « l’astrologie » en elle-même, et son système, sont remis en cause. Or, avec un déclassement de Pluton, pas un seul astrologue ne pourrait éviter la remise en question d’une partie de sa propre « expérience », de ses outils d’interprétation, de ses « travaux », donc de ses considérations sur l’astrologie.
Tous y ont eu recours à un moment ou à un autre.
Il faudra peut-être choisir entre retourner à la pure divination où la complexité se gère à l’instinct et à l’opportunisme, et entamer peut-être une révolution technique, c’est à dire une révolution para-scientifique où la notion de hasard pourrait être, par exemple, intégrée à l’astrologie judiciaire.
Serge BRET-MOREL, juin-juillet 2007
Master en Histoire et Philosophie des sciences
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