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PLUTON ET LA CRITIQUE SCEPTIQUE :
Quelques faux problèmes : la technique astrologique comme tamis occasionnel de la critique
Par Serge BRET-MOREL
Exclue des planètes de l’astronomie, pour quelles raisons la critique sceptique excluait-elle déjà Pluton des « planètes astrologiques » ? Commençons par de mauvaises raisons…
La critique sceptique, rationnelle par définition et à tendance causale par vocation, a développé depuis longtemps quelques positions fécondes dans le cadre d’une interprétation physique littérale de l’astrologie (mais plus ou moins consciente, donc réductrice) qui consiste souvent à prendre au mot l’astrologue et le mettre face à ses contradictions. Mais cela, sans toujours se demander si techniquement au moins, les arguments sont recevables.
Un exemple : la croyance astrologique contemporaine la plus répandue utilise l’astrologie comme une sorte de métadéterminisme qui n’aurait que faire des déterminismes communs. En effet, bien que dans la discussion sur les fondements on conserve toujours une place au libre arbitre ou à l’indétermination, nombre d’astrologues n’hésitent pas à se prononcer sur le sens des situations et des événements en se référant uniquement à l’astrologie. La pratique, en quelque sorte autonome, ne rejoint pas la théorie pour ces personnes-là.
Or, cela a comme effet de pousser le sceptique à mettre l’astrologie à l’épreuve de l’expérimentation en commettant l’erreur de tester l’astrologie aussi comme un métadéterminisme. De toute façon, puisque l’astrologie prétend se suffire à elle-même, pourquoi la considérer comme un potentiel déterminisme parmi d’autres qui imposerait de sélectionner des situations particulières afin qu’un éventuel effet ne soit pas perdu au milieu d’autres qui l’empêcheraient de s’exprimer ? Qui imposerait aussi de sélectionner des échantillons de population avant expérimentation selon leur formation intellectuelle, leur catégorie sociale ou leur origine culturelle ? Qui imposerait enfin de considérer la technique astrologique comme pouvant se nuire à elle-même si l’astrologie est un cumul de multiples et nombreux sous-déterminismes en concurrence permanente : distinguer ainsi entre thèmes simples et complexes permettrait d’éviter un biais trop souvent négligé. Quelle que soit sa foi dans ses propres capacités ou dans l’astrologie, l’astrologue a plus de chances de se noyer dans des thèmes complexes que dans des thèmes simples,
quelle que soit la valeur de l’astrologie.
Le critère technique est trop négligé dans l’expérimentation comme l’illustre un autre exemple : les signes astrologiques sont regroupés en familles par les astrologues, pourquoi continue-t-on de tester l’astrologie sur les douze signes du zodiaque ??? Pourquoi ne regroupe-t-on pas les signes en familles pour éviter certains recoupements de symboles qui pourraient nuire justement, à la lisibilité des énoncés astrologiques testés ? Partager les signes en familles, ce serait permettre d’amplifier peut-être les différences prétendues entre familles ?
Or, si l’astrologue n’a pas ces exigences expérimentales (et il y en a encore d’autres), n’est-ce pas le rôle du scientifique que d’imposer cette optique qui consiste à tester l’astrologie, non comme une croyance dans laquelle les astrologues se noieraient nécessairement (considération tautologique), mais comme un supposé sous déterminisme, c’est à dire un déterminisme parmi d’autres ? A quoi sert sinon, l’association astrologue – scientifique lors d’une expérimentation ?
De plus, on peut remarquer que si pour le sceptique l’approche critique par le biais de la physique est naturelle, la question de la technique astrologique (au-delà de supposés fondements scientifiques) se prête elle aussi à l’analyse quantitative. Cela n’a pourtant pas encore été très exploité pour rendre compte de la pratique de l’astrologie. Faute d’intérêt, faute de temps, faute de moyens financiers pour de telles recherches pourtant citoyennes.
Pourtant l’outil technique contraint l’astrologue à plusieurs niveaux, comme il le rappelle souvent pour se démarquer de la voyance. Il n’est donc pas absurde d’imaginer quelques effets de structure découlant des composantes techniques du système astrologiques qui permettraient de soumettre l’astrologie à un autre type de critique, une critique plus audible par les astrologues puisque concernant les structures de son propre outil de travail. La technique serait alors un tamis de la pratique astrologique, mais aussi… un tamis de la critique sceptique elle-même comme nous allons le voir ci-dessous. Car ce n’est encore que trop rarement le cas, la critique étant souvent aussi sacrée pour le sceptique que l’astrologie l’est pour l’astrologue. Comme on l’a déjà dit, toutes les critiques à vocation rationaliste ne sont pas pertinentes : pour l’être, ne doivent-elles pas d’abord ne pas pouvoir être contredites par le critère technique ? Le sceptique verrait alors un moyen d’entrer sur le terrain des astrologues, donc de dépasser le statut de commentateur pour celui de critique à proprement parler. En effet, maîtrisant souvent les statistiques et les probabilités, il pourrait poser à l’astrologue des questions nouvelles et bien plus gênantes que bien des critiques traditionnelles axées sur les fondements, la psychologie, ou de la pure rhétorique, donc extérieures à la pratique astrologique.
Ainsi, en l’absence de fondements scientifiques, la technique astrologique constitue parfois le meilleur moyen de répondre clairement à certaines critiques, et d’en mesurer la pertinence. Afin d’illustrer notre propos, voyons quelques uns de ces raisonnements séduisants, rationnels, mais… erronés. En tout cas pour lesquels la technique astrologique peut jouer le rôle de garde-fou.
Les astronomes de l’UAI on voté, fin août 2006, le déclassement de Pluton, elle n’est donc plus une planète, les astrologues devraient l’éliminer des planètes de l’astrologie. C’est en quelques mots l’inférence sceptique classique. En d’autres mots, pourquoi les astrologues devraient-ils laisser Pluton parmi les planètes du système solaire puisque officiellement, elle n’en est plus une ?
Or, comme on l’a argumenté depuis le début de ce dossier, les catégories astronomiques ayant mené au déclassement de Pluton ne sont pas applicables littéralement à l’astrologie, celle-ci ne se référant pas à la taille des astres pour ses interprétations, mais d’abord à leur mouvement apparent. Ainsi, retirer Pluton de l’astrologie au seul prétexte qu’elle n’est plus une planète traditionnelle pour l’astronomie n’est pas naturel puisque cela impliquerait par exemple, qu’il faut faire de même pour le Soleil et pour la Lune, astres très présents dans l’astrologie et traités comme des planètes… ce qui n’est pourtant pas toujours dans l’intention première du sceptique.
D’ailleurs, au risque de paraître jouer sur les mots, il faut rappeler que Pluton est toujours une planète… mais une planète naine. Autrement dit, il n’est pas naturel de distinguer entre Pluton et les planètes, donc encore moins d’en exiger le retrait de l’astrologie pour cette seule raison. C’est pourquoi j’ai argumenté pour reformuler la problématique en l’axant sur l’intégration ou non des nouveaux planétoïdes découverts depuis quelques années, et pas sur le statut de Pluton à proprement parler.
Un argument classique contre l’astrologie a été remis à jour par le déclassement de Pluton :
puisque certaines des lunes des planètes du système solaire sont plus grosses que cet astre, pourquoi les astrologues ne les intègrent-ils pas ? Réciproquement, s’ils n’en tiennent pas compte, pourquoi ne pas rejeter, aussi, Pluton ? Logique, si logique effectivement, et pourtant si hors sujet…
Techniquement parlant, l’argument apparaît dès 1610 et les premières discussions autours de la découverte des satellites de Jupiter par Galilée. Il est résolu tout aussi vite par Kepler, avant même que ne puisse s’appliquer la question de la taille des satellites. Déjà les critiques portent sur ces astres dont l’astrologie n’a jamais pu tenir compte, et Kepler fait vite remarquer que les compagnons de Jupiter ne s’écartent pas plus
d’un tiers de degré de la planète. Les plus gros satellites sont donc en conjonction parfaite (moins de 0.5° d’orbe) et permanente avec Jupiter, on ne peut donc pas les distinguer techniquement pour des interprétations astrologiques.
Qu’en est-il pour les satellites de Saturne et des planètes plus loin encore de la Terre ? Et bien, plus lointaines encore, l’écart apparent entre satellites et planète mère est encore plus faible... Donc les satellites en question sont encore moins
appréhendables par le zodiaque astrologique.
Par extrapolation, pourquoi les astrologues ne tiennent-ils pas compte des exoplanètes ??? On le comprend, la réponse est la même que pour les satellites, et en plus dirimant encore : à des distances des milliers ou des millions de fois supérieures aux dimensions du système solaire, les exoplanètes paraissent confondues avec leur étoile mère dans le zodiaque des astrologues.
On le voit, nul besoin de se référer ni à la taille, ni à la masse, ni au paramètre de la distance des dits corps pour montrer en quoi,
techniquement parlant, la question des satellites du système solaire plus gros que Pluton et des exoplanètes ne peut pas se poser en astrologie traditionnelle.
Les dits satellites ne s’éloignent pas assez de leur planète mère pour pouvoir exister sur le plan technique. Le bon sens sceptique n’est donc pas un critère de validité suffisant…
Si maintenant, des astrologues se permettent de monter des thèmes centrés sur Jupiter, cela ne relève pas vraiment de l’astrologie au sens traditionnel du terme, mais d’extrapolations qui n’engagent que leurs auteurs. Et amènent à d’autres contradictions encore qui sortent de l’objet de cet article.
En effet, Neptune a été découverte en 1846, et ne reviendra à ce point que vers… mi-2008 (~24° du signe du Verseau, au mouvement de précession près) ! Pluton a été découvert en 1930, il ne reviendra à sa position de départ que vers 2174. L’argument perd donc de sa consistance au fil des ans, et disparaîtra même l’année prochaine pour Neptune. Toutefois, et contrairement à l’aspect purement physique de la chose, il faut remarquer que
la position de Neptune dans tel signe du zodiaque n’a pas été l’aliment premier dans la construction du symbolisme astrologique qui est aujourd’hui le sien. Au contraire, les commentaires astrologiques sur les positions de Neptune dans l’Histoire sont très postérieurs à sa découverte. C’est là une approche causale plutôt pauvre et qui rappelle les controverses sur les horoscopes des médias. En effet, la technique astrologique permet de considérer la chose bien autrement, les interprétations à tirer de Neptune provenant de plusieurs paramètres, dont la position en signe n’est pas le principal.
En astrologie de naissance
Pour commencer, rappelons que les astres au-delà de Saturne présentent des mouvements apparents si lents qu’Uranus, Neptune et Pluton sont considérées par les astrologues comme « des planètes de génération ». Restant en moyenne de 7 (Uranus) à environ 20 années (Pluton) consécutives dans un signe astrologique, ces planètes présentent la particularité d’être communes dans les thèmes de naissance de toute une génération d’individus (sans polémiquer sur l’étendue d’une « génération »). Les astrologues considèrent donc qu’en astrologie de naissance
la position en signe astrologique des planètes lentes compte peu dans les interprétations de l’astrologie de naissance.
Elles ne permettent pas en effet, de différencier un individu d’un autre de la même génération.
Les positions en maisons et (surtout) les aspects astrologiques permettent des combinaisons bien plus nombreuses et personnalisées. Bien que ces astres soient lents, les aspects astrologiques formés avec eux
par les autres facteurs astrologiques sont nombreux, alimentant une importante source d’interprétations. Pour plus de clarté, il faut préciser ici que les aspects et positions en maisons astrologiques ne dépendent pas de la position en signe :
c’est donc là que devrait se porter la critique, ce qui relativise l’importance de la question des révolutions complètes autour du zodiaque.
De plus, les personnes en vie au moment de la découverte de Neptune permettaient aussi de faire remonter « les 1ères positions en signes étudiables » jusqu’à leurs naissances, à savoir plusieurs dizaines d’années précédant la découverte de l’astre. Dans ce cas Neptune a déjà fait plus d’un tour du zodiaque depuis que les astrologues l’ont intégrée à leur discipline.
Considérer la validité du symbolisme astrologique de Neptune à la date de sa découverte, c’est donc se méprendre sur la pratique de l’astrologie et limiter les problématiques à une approche causale
grossière probablement inspirée des seuls douze signes des vulgaires horoscopes.
En astrologie événementielle
Pour l’astrologie judiciaire, la réponse à l’argument se généralise encore plus aisément : la seule technique des transits (interprétations des angles géocentriques qui se forment dans le zodiaque entre les positions des planètes à un moment donné et celles du thème de naissance) permet en droit aux astrologues, de récolter les informations sur Neptune à travers :
- Les angles formés par les planètes au moment où l’astrologue reçoit son client (indications sur les questionnements du moment).
- Les angles formés à un moment quelconque de la vie d’un client que l’astrologue interroge sur telle ou telle période de son passé
- L’utilisation des biographies de personnes illustres (dont l’astrologue raffole) : un moyen de remonter le temps et se nourrir de cas inaccessibles de son vivant.
- Pour les adeptes de l’astrologie mondiale : tous les événements précisément datés remontant à la nuit des temps…
On le voit, le nombre de révolutions autour du zodiaque ne suffit pas à limiter la récolte d’informations au sens astrologique du terme.
Ceci bien sûr, n’implique en rien la qualité des conclusions astrologiques, notamment pour l’astrologie
collective. C’est là un tout autre problème.
Pour Pluton, l’argumentation est la même, sinon que l’astre reviendra à la position de sa découverte non pas l’année prochaine, mais seulement vers 2174… Les positions en signes ne sont pas une source importante dans l’élaboration du symbolisme plutonien, c’est à dire de ce que l’on peut lui attribuer ou non par l’astrologie.
Voilà la généralisation de l’argument précédent. Nous espérons avoir montré en quoi la consultation et la pratique astrologique permettent de multiplier les sources d’interprétations, donc
imposent de déplacer la critique sur la valeur de tels procédés si subjectifs. Il n’empêche que les chiffres parlent d’eux-mêmes : il n’y a pas d’empirisme multimillénaire pour ces planètes-là. Uranus a été découverte il y a 226 ans, Neptune il y a 161 ans, et seulement 77 pour Pluton, quand l’astrologie a l’habitude de revendiquer plusieurs millénaires d’existence. Ceci dit, bien que l’astrologie ne porte pas les mêmes jugements aujourd’hui que ce que faisaient les premiers devins mésopotamiens (pour ne citer qu’eux…). En fait, derrière ce problème se cache la question, non pas de l’ancienneté d’un astre dans le système astrologique, mais celle du nombre « d’observations » et de « vérifications » empiriques des astrologues.
Or, un peu comme pour l’astronomie (il y a plus d’astronomes aujourd’hui qu’il y en a eu peut-être, tout au long de l’Histoire), on peut remarquer qu’il n’y a peut-être jamais eu autant de professionnels et de passionnés actifs de l’astrologie occidentale qu’aujourd’hui. De plus, progrès informatique oblige, le nombre et la variété des interprétations réalisées est décuplé. Ainsi, et surtout (car il y a eu bien plus d’astrologues que d’astronomes au cours de l’Histoire),
les astrologues n’ont jamais eu à leur disposition un matériel technique aussi performant. L’outil informatique s’est développé dans le dernier quart du 20ème siècle, au point de décupler la puissance de calcul de l’astrologue… Il n’est donc pas certain que le nombre d’interprétations astrologiques exprimées depuis la première moitié du XXème siècle (date de la renaissance mondiale de l’astrologie et de la découverte de Pluton) soit d’un ordre de grandeur négligeable par rapport à ce que l’on nomme « tradition ».
Un exemple : quand pendant des siècles il a fallu des heures pour monter une seule carte du ciel avec une précision souvent très discutable, depuis quelques dizaines d’années il ne faut plus qu’une fraction de seconde pour le faire. Quand on sait que l’astrologie consiste à comparer des cartes du ciel entre elles, on comprend en quoi l’outil informatique permet de multiplier les applications dans des proportions incommensurables avec ce que pouvaient techniquement faire les astrologues d’autrefois.
Mieux, on peut même se demander si finalement, la révolution informatique de l’astrologie ne va pas permettre de faire ressortir certains biais techniques jusque là invisibles mais immanents à l’utilisation du système astrologique.
La multiplication des interprétations astrologiques sans cadrage technique par le biais des probabilités par exemple, donne lieu en effet à de nouvelles pratiques astrologiques (astrologie mondiale, astrologie boursière, astrogénéalogie) qui ont comme point commun un matériau de base composé d’un grand nombre de cartes du ciel de référence, et un cumul de techniques d’interprétation et de prévision. L’outil informatique est donc primordial dans ces nouvelles pratiques qui ne pouvaient exister auparavant de manière aussi développée, mais en même temps la multiplication des occurrences va peut-être permettre de faire ressortir des effets de structure liés à l’utilisation du système astrologique.
Paradoxalement, la partie calculatoire (donc astronomique) est devenue secondaire aujourd’hui, quand elle était peut-être ce qui prenait le plus de temps à l’astrologue d’hier. On comprend que les applications de l’astrologie qui étaient interdites du point de vue calculatoire hier, le sont aujourd’hui. Cette tendance est probablement ce qui permet de concevoir que l’astrologue de la tradition était plus mathematicus que celui d’aujourd’hui qui (le temps des calculs astronomiques n’existant plus puisqu’ils sont effectués en une fraction de seconde par l’ordinateur), occupe la majeure partie de son temps à interpréter. Avec l’avènement de l’informatique il y a donc eu un décalage dans la pratique de l’astrologie : la partie calculatoire a disparu au profit de l’interprétation, inversant la pratique traditionnelle grâce au progrès technologique. Doit-on s’étonner alors que l’astrologue savant contemporain est bien plus psychologue, symboliste, spiritualiste, voire superstitieux, que l’astrologue savant d’antan ?
Cette parenthèse étant faite, pour répondre à l’argument de l’empirisme multimillénaire, il faut faire remarquer que l’informatique ayant décuplé la puissance de calcul de l’astrologue, lui a permis de multiplier ses « observations », donc les interprétations astrologiques, jusque dans des domaines qui étaient jusque là inaccessibles à l’astrologie. Le nombre et la variété des applications possibles de l’astrologie contemporaine peuvent lui permettre de revendiquer pour ces planètes lentes un autre type de « tradition », mais sans pour autant en inférer que les résultats contemporains sont plus valables ou plus scientifiques qu’autrefois.
On vient d’argumenter que les capacités techniques de l’astrologie sont aujourd’hui décuplées par rapport à celles de la tradition. On pourrait donc être en droit d’attendre qu’en ce début de 21ème siècle les astrologues se prononcent rapidement au moins sur la question d’Eris, tout de même primordiale pour eux qui ont déjà intégré Pluton à leur système. Un an déjà après son déclassement, 2 ans après l’annonce de la découverte d’Eris il n’y a pourtant pas grand chose de fait sur le sujet, pour ne pas dire rien du tout. Les raisons à cela sont diverses et nombreuses, elles montrent à la fois l’aspect technique de l’astrologie, et le paradoxe qui consiste à user et abuser d’un outil mathématique sans pour autant en avoir une approche scientifique. Ainsi, les contraintes premières de cette absence sont-elles celles de l’élaboration pour un astre, du symbolisme astrologique.
Pour commencer, il faut préciser que du point de vue de l’astrologue, l’élaboration d’un symbolisme astrologique est un exercice de Recherche, non un exercice pratique. Autrement dit, bien que le grand public aie l’habitude de débats portant essentiellement sur les fondements ou les expérimentations sur l’astrologie, l’astrologue rappelle souvent qu’il est d’abord un « praticien », autrement dit un professionnel qui aime à appliquer le symbolisme et l’outil astrologiques à des situations « concrètes » (consultations individuelles essentiellement). Rares sont les astrologues qui se frottent vraiment à la Recherche. Une fois le symbolisme formalisé par l’un ou quelques uns d’entre eux, les autres peuvent continuer en s’appuyant dessus. Il n’est pas évident pour le sceptique d’admettre ce point de vue, car les spéculations astrologiques sont toujours légions. Pourtant, la majorité de ces « spéculations » succèdent à l’établissement du symbolisme qui sera appliqué, car c’est bien là qu’est l’objet de la recherche : l’établissement du symbolisme astrologique pour un astre.
Or, le problème premier de la « recherche » astrologique est son absence de financement, le monde astrologique lui-même ne finance pas de telles recherches. Les pouvoirs publics ne reconnaissent pas la pertinence d’un travail sur ce sujet, donc ne la financent pas, ce qui peut se comprendre. Mais en conséquence, le nombre d’universitaires compétents à propos d’astrologie est infime. Ce qui permet une dérive très présente dans le monde de l’astrologie : en général le « chercheur » en astrologie est un chercheur autoproclamé. Aucun diplôme ne sanctionne la compétence du « chercheur en astrologie », celle-ci se juge encore en général au nombre d’années de pratique (l’ancienneté si l’on veut), et un certaine aisance intellectuelle. L’absence de spécialiste de l’astrologie à l’université amène d’ailleurs à l’absence de concurrence pour ces chercheurs autoproclamés, la critique sceptique ne pouvant faire office de palliatif par manque de familiarité avec la pratique de l’astrologie. Il existe donc toute une population de « chercheurs en astrologie » armés le plus souvent d’une grande sincérité, d’une certaine ténacité, mais pour qui trop souvent « chercher » c’est d’abord « s’interroger ». Or pour le chercheur, s’interroger n’est pas seulement chercher, sinon à en rester souvent à une recherche philosophique au mauvais sens du terme.
De plus, comme on l’a effleuré plus haut, ces astrologues se disent chercheurs tout en se réclamant parallèlement de la pratique. Dans la grande majorité des cas leur temps de recherche empiète donc sur leur activité professionnelle, à savoir la consultation astrologique ou une activité subsidiaire. Le chercheur en astrologie peut bien rarement consacrer 100% de son temps à la recherche.
De plus, si chacun se sent quelque peu chercheur, pourquoi irait-il financer les recherches de courants concurrents ou dont il ne reconnaît pas la valeur profonde ? En effet, l’astrologie perçue comme indissociablement liée à la question du sens, n’est pas naturellement étudiable du point de vue scientifique puisque la question du sens doit être mise de côté. Le financement de telles recherches par le monde astrologique n’est donc pas évident, puisque bien souvent de telles recherches consistent en une critique (légitime mais gênante) de la tradition, que ce soit à travers ses méthodes, ses outils ou ses acteurs. Voire même on associe ce type d’étude à la critique sceptique. La notion de réseau associatif est donc fondamentale pour comprendre le monde de l’astrologie, ses errements ou son inertie.
Mais pour commencer la moindre élaboration d’un symbolisme astrologique, il faut d’abord avoir à disposition des éphémérides. Pour donner un exemple avec Eris, sa première observation a eu lieu en 2003 (d’où son 1er nom 2003 UB313), sa découverte puis l’annonce de la découverte, en 2005, MAIS sa dénomination officielle le 13 septembre 2006. Or, le logiciel professionnel d’astrologie Astropc ne l’intègre, sans interprétations associées, qu’en août 2006 (source : Francis Santoni, son concepteur). Peut-être d’ailleurs le congrès de l’UAI a-t-il joué un rôle non négligeable pour cela. Mais si la mise à jour du logiciel est gratuite, pour ceux qui ne l’ont pas il faut compter plusieurs centaines d’euros pour l’acquérir. Ce sont là des contraintes non négligeables dans le temps que pourrait prendre l’élaboration d’un symbolisme astrologique. Combien de logiciels d’astrologie d’ailleurs, proposent déjà les éphémérides des planètes naines ? Il serait étonnant qu’ils soient nombreux.
De plus, et surtout, Eris n’a donc été nommée officiellement que le 13 septembre 2006. Si sur un plan scientifique ceci n’a aucune importance, pour nombre d’astrologues ce n’est pas le cas, chose dont on dénoncera les dérives dans l’article suivant, en écho à la critique sceptique. En effet, l’absence de mécanismes en astrologie amène l’astrologue à être totalement démuni devant un astre qui, tant qu’il s’appelle 2003 UB313,
ne permet aucune interprétation astrologique ou presque… Ce pourquoi pour nombre d’astrologues, la dénomination officielle est de grande importance : du fait que l’UAI s’inspire toujours de la mythologie, nombre d’astrologues vont justement aller chercher l’inspiration dans les mythes associés à la divinité concernée… Si les habitudes changeaient et que l’on donnait des noms aux astres qui ne renvoient à aucune mythologie, des noms imaginaires par exemple, les astrologues ne pourraient peut-être même pas construire de symbolisme astrologique… en tout cas aucune mythologie ne leur permettrait de s’entendre a priori ou d’orienter leurs « recherches » pour trouver un semblant de consensus.
De même, d’un point de vue plus théorique et en référence à l’article précédent, les corps plutoniens posent des problèmes techniques et théoriques non négligeables, comme le fait qu’ils circulent bien souvent « en dehors » des zodiaques tropique et sidéral tels qu’ils sont définis actuellement. Est-il donc si naturel de vouloir par exemple intégrer Eris à l’astrologie avec ses 44° d’inclinaison orbitale et ses 557 ans de période de révolution ? Ce n’est pas si sûr… La critique sceptique suppose que tout astre est intégrable aussi facilement qu’un autre, pourtant comme on l’a dit, Sedna (qui n’est pas un corps de la ceinture de Kuiper) présente des paramètres qui le rendent inutilisable par exemple en prévision individuelle (temps de révolution = 11.000 ans). Avant de commencer à « chercher », il faut donc y trouver un intérêt a priori, c’est à dire négliger ou dépasser les obstacles premiers que nous avons présentés plus haut. Pour celui dont la complexité du système astrologique est déjà assez importante pour tromper son utilisateur cette « recherche » ne présente même aucun intérêt : ceux qui rejettent déjà les astéroïdes n’ont pas de raison évidente de voir un intérêt dans les astres Eris ou Sedna, sinon de noyer un peu plus le poisson.
A cela nous pouvons ajouter aussi que peu d’astrologues ont connaissance des planétoïdes appelés à entrer bientôt dans la catégorie des
planètes naines. En effet, c’est là une question d’astronomie, pas encore une question d’astrologie, c’est même une question de culture scientifique. Or, si Eris et Sedna présentent des paramètres délicats pour l’interprétation astrologique, ce n’est pas le cas pour Orcus qui, avec ses 248 ans de période de révolution et ses 21° d’inclinaison orbitale pour un diamètre non négligeable d’environ 1600km (~2/3 de Pluton), est le presque jumeau de Pluton ; ce pourquoi j’argumentais dans l’article précédent que la question du statut de Pluton est une question secondaire, la première étant celle du statut à donner aux autres planétoïdes. Pourtant, un tel astre n’aurait-il pas déjà du titiller le monde astrologique, assurant presque a priori un succès d’interprétation ???
Autant de raisons qui peut-être, permettent de mieux comprendre pourquoi à la mi-2007, donc moins d’un an après sa dénomination, Eris comme les
planètes naines ne donnent pas lieu à interprétation astrologique. Nous sommes en fait dans les problématiques de l’empirisme, avec ses limites et ses contradictions, d’autant plus qu’y est absente la notion de mécanisme… les argumentations se font donc à l’inspiration et à l’analogie.
Toutefois, si les contraintes sont nombreuses quant à la possibilité d’établissement d’un symbolisme astrologique (et chaque courant astrologique devrait développer des interprétations qui diffèrent plus ou moins selon les optiques métaphysiques de chacun), le symbolisme d’Eris (divinité Grecque de la discorde) est de premier choix quant à l’interprétation astrologique… Si l’appellation astronomique est d’une grande élégance, en référence aux événements du congrès de 2006, on imagine la fécondité d’un tel symbolisme dans le cadre d’une mauvaise consultation astrologique, ou pour expliquer tous les malheurs de la Terre. Il est donc à parier qu’il ne faudra pas attendre très longtemps pour qu’apparaisse un symbolisme astrologique pour Eris.
On aura compris j’espère, que le tamis de la technique astrologique permet et impose de trier dans la critique sceptique : toutes les critiques ne se valent pas, certaines doivent être reformulées, d’autres purement et simplement abandonnées tant que l’on ne développe pas un véritable modèle causal qui cadrerait la critique… Ceci nous permettra ailleurs, l’ouverture d’une critique de la critique, et son intégration dans l’optique de la construction d’un modèle causal. Mais c’est là une autre problématique, dont la première conséquence serait tout de même de montrer que deux approches critiques peuvent coexister, voire s’opposer, dans l’examen de l’astrologie. Mais un modèle causal qui tiendrait compte de l’aspect technique de l’astrologie, s’inspirerait aussi de la critique sceptique, d’où un avantage indéniable. Car c’est une terrible erreur que de réduire l’analyse critique de l’astrologie à son versant sceptique qui trop souvent focalise sur la question du
fondement avant celle du fonctionnement (la pratique est d’abord technique). Ne pourrait-elle pas être complétée par une approche plus technique ?
Pourquoi l’astrologie n’a-t-elle pas encore produit un tel modèle causal qui permettrait d’intégrer la critique sceptique et de résoudre joyeusement tous les problèmes ? Peut-être d’abord à cause d’une confusion très présente dans le monde astrologique, où le fatalisme est souvent conçu comme un déterminisme fort. Autrement dit, c’est l’acausalité qui permet d’y sauver le libre arbitre quand du point de vue scientifique, c’est au contraire la connaissance physique des phénomènes qui permet d’en montrer les limites et de les dépasser… La notion de choix ne semble pas compatible avec celle la causalité astrologique, probablement y a-t-il là l’image (historique ?) d’une science castratrice sur le plan spirituel, tout comme peut-être du point de vue sceptique la spiritualité est elle aussi parfois perçue comme castratrice sur le plan de la liberté de penser ou de l’action. La population astrologique manque aussi d’acteurs ayant une formation scientifique ou s’inspirant d’une approche mêlant histoire et philosophie des sciences permettant d’appréhender des questionnements très hétéroclites si omniprésents en astrologie ? Car la construction d’un modèle causal pour l’astrologie commence par la critique dure des fondements traditionnels de la croyance et le rejet ou la reformulation de bien d’entre eux, ce qui n’est pas naturel justement, pour le croyant… La construction d’un modèle causal de l’astrologie ne saurait être une défense de l’astrologie traditionnelle. Cela reviendrait à supposer en effet que les astrologues auraient réussi là où tant d’autres ont toujours échoué : déterminer sans aucun procédé scientifique l’étendue d’un supposé phénomène physique, une absurdité.
C’est pourquoi peut-être ni les astrologues ni les commentateurs ne perçoivent encore la pratique astrologique comme littéralement contrainte (au bon mais aussi au mauvais sens du terme) par des outils techniques qui, pourtant, la fondent, donc la déterminent. Ainsi est-il flagrant dans les ouvrages sceptiques de rencontrer une présentation des outils techniques de l’astrologie quasiment copiée de celle des livres d’astrologie : la technique y est définie de la même façon, j’aurais envie d’ajouter « avec aussi peu de recul ». Les outils sont toujours définis du point de vue mathématique et astronomique, en insistant sur les contradictions physiques qu’ils comportent, mais les biais de leur utilisation ne sont jamais décrits. De même, on démontre ici et là que telle ou telle expérimentation réussie selon les astrologues l’a été parce que le hasard prévoyait de grandes chances de succès, certes, mais pourquoi ne construit-on pas une sorte de théorie mathématique de la prédiction astrologique ? Celle-ci s’articule pourtant autour d’outils très simple, et cela permettrait de rendre compte de bien des pratiques astrologiques, dont les errements. Est-ce parce que le chercheur qui développerait un tel sujet n’aurait aucune chance d’enseigner par la suite, donc que cette recherche n’est pas rentable pour les écoles doctorales ? Ou bien parce que l’étudiant type qui serait intéressé et compétent n’existe pas encore ? Il y en a peut-être un ici…
Mais pour en revenir à notre interrogation première, le sceptique se donne-t-il vraiment les moyens de comprendre de l’intérieur ce qu’il critique s’il met la question de la technique de côté ? Même si les outils techniques de l’astrologie sont sans fondement scientifique, il n’empêche que leur utilisation elle, pourrait offrir à l’analyse critique un terrain très favorable (et inaccessible pour l’instant à l’astrologue) de modélisation de la pratique astrologique, de ses dérives en particulier.
D’ailleurs, le grand public ne pourrait être que concerné par une telle étude qui, à mon sens, serait avant tout citoyenne, même si comprendre l’astrologie de l’intérieur oblige il est vrai à « faire de l’astrologie », donc « à faire rentrer l’astrologie à l’université » (encore !). Une grande barrière pour la réalisation d’un tel projet…
Mais comme toutes les critiques sceptiques ne sont pas mauvaises (rendons à César ce qui est à César…) nous allons, dans l’article suivant, prendre connaissance d’autres arguments plus délicats pour l’astrologie. Pluton et les multiples corps du système solaire permettent de (re)mettre à jour quelques failles du système astrologique, ainsi que la question de ses limites. Une petite autocritique de l’astrologie en somme.
Serge BRET-MOREL, juin-juillet 2007
Master en Histoire et Philosophie des Sciences
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